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Extrait

Le chevalier déshérité entre en lice

Walter Scott, Ivanhoe, chapitre VIII, 1819 (1920 pour la traduction).
Wilfrid d'Ivanhoé, fils du saxon Cédric de Rotherwood, est renié par son père pour s'être mis au service de Richard Cœur de Lion. Pendant l'absence de son frère aîné Richard parti en Terre sainte pour participer à la troisième croisade, le prince Jean sans Terre tente de s'emparer du trône. Il essaie de constituer un parti en organisant un grand tournoi à Ashby. Ivanhoé y prend part sous le nom de chevalier déshérité et affronte le normand Brian de Bois-Guilbert.

En ce moment, et comme la musique orientale des tenans venait d'exécuter une de ses fanfares qui célébraient leur triomphe, une seule trompette fit entendre des sons de défi à la porte située du côté du nord. Tous les yeux se tournèrent de ce côté pour voir le noiveau champion qui allait se présenter, et dès que la barrière fut ouverte on le vit entrer dans la lice. Ce chevalier était de moyenne taille, et, autant qu'on pouvait juger d'un homme revêtu d'une armure, il paraissait avoir un corps plus élancé que robuste. Sa cuirasse était d'acier richement damasquiné en or, il n'avait d'autres armoiries sur son bouclier qu'un jeune chêne déraciné et sa devise était le mot espagnol Desdichado, c'est-à-dire déshérité. Il montait un superbe cheval noir, et, en traversant l'arène, il salua le prince et les dames d'un air plein de grâce, en baissant le fer de sa lance. L'adresse avec laquelle il conduisait son cheval, quelque chose d'aimable et de courtois dans toutes ses manières, lui valurent la faveur générale, et quelques personnes de classes inférieures lui témoignèrent l'intérêt qu'elles lui portaient, en lui criant :  Touchez le bouclier de Ralph de Vipont, du chevalier hospitalier ! C'est celui qui est le moins ferme en selle, celui dont vous aurez le meilleur marché !
Au milieu de ces acclamations, le nouveau champion monta sur la plate-forme et, au grand étonnement de tous les spectateurs, alla droit au pavillon du centre, et frappa fortement du fer de sa lance le bouclier de Brian de Bois-Guilbert ; ce qui annonçait qu'il demandait le combat à outrance. Chacun fut surpris de sa présomption, mais personne ne le fut davantage que l'orgueilleux templier, qui sortit aussitôt de sa tente.
 Es-tu en état de grâce ? lui demanda-t-il avec un sourire amer. As-tu entendy la messe ce matin, toi qui viens mettre ainsi ta vie en péril ?
 Je suis mieux préparé que toi à la mort, répondit le chevalier déshérité, car cétait sous ce nom qu'il s'était fait inscrire au nombre des assaillants.
 Va donc prendre place dans la lice, et regarde le soleil pour la dernière fois, car tu dormiras ce soir dans le paradis.
 Grand merci de ta courtoisie. Pour t'en récompenser, je te conseille de prendre un cheval frais et une lance neuve, car, sur mon honneur, tu auras besoin de l'un et de l'autre.
Après avoir parlé avec tant de confiance, il fit descendre son cheval à reculons sur la plate-forme, et le força à parcourir ainsi toute l'arène jsuqu'à la porte du nors, où il resta stationnaire en attendant que son antagoniste parût. Cette preuve d'adresse dans l'art de l'équitation lui attira de nouveaux applaudissements.

Walter Scott, Ivanhoe, chapitre VIII, traduction de M. Defauconpret : Furne, Paris, 1830-1832
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