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Le Tableau de Paris

Louis-Sébastien Mercier, 1781
Vue intérieure de Paris représentant le port au blé jusque au pont Notre Dame
Vue intérieure de Paris représentant le port au blé jusque au pont Notre Dame

Bibliothèque nationale de France

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Œuvre foisonnante rédigée entre 1781 et 1788, le Tableau de Paris brosse un portrait complet de cette métropole fourmillante à la veille de la Révolution. Mercier mêle observations et réflexions : il invente ainsi quasiment le grand reportage. Nombre d'historiens ont continué à lire ce témoignage inestimable pour comprendre le Paris de l'Ancien Régime.
 

Une description de Paris

À travers le Tableau de Paris rédigé entre 1781 et 1788, Louis-Sébastien Mercier tente un portrait aussi complet et fidèle que possible de cette métropole grouillante et étourdissante, sans cesse en mouvement. La ville que Mercier décrit est une concentration d'individus, de métiers, d'habitudes, un nœud de contradictions qu'aucun ordre central ne contrôle plus vraiment.

 Aux descriptions de monuments et de scènes de rues, classiques dans ce type de récit, Mercier ajoute beaucoup d’autres remarques : « Je parlerai des mœurs publiques et particulières, des idées régnantes, de la situation actuelle des esprits, de tout ce qui m’a frappé dans cet amas bizarre de coutumes folles ou raisonnables, mais toujours changeantes ». Le Tableau est en effet un ensemble hybride, mêlant sans cesse descriptions de mœurs, anecdotes, réflexions politiques, vie quotidienne, analyses sociales, dans un récit aussi varié qu’inattendu.

Je dois avertir que je n'ai tenu dans cet ouvrage que le pinceau du Peintre et que je n'ai presque rien donné à la réflexion du Philosophe

Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, Préface, 1781

Mercier s’inscrit dans une tradition littéraire bien établie : celle de la description de Paris, qui va des livres érudits, des réflexions morales ou des peintures de mœurs aux satires (Les Embarras de Paris de Boileau en 1666, Les Lettres persanes de Montesquieu en 17212). Mercier revendique un ouvrage sérieux, qui n’interdit pas l’humour, mais dont l’ambition est de refléter ce qu’est réellement la capitale.

Une composition foisonnante

Pour y parvenir, il utilise une composition originale. Les douze volumes du Tableau sont composés de mille cent chapitres assez brefs, apparaissant dans un savant désordre. Il refuse en effet et l’ordre alphabétique et la structure raisonnée.  On voit par exemple les chapitres 335 à 339 : « Où est Démocrite », « Ponts », « Consommation », « Balcons », « Faux cheveux ».

Je n'ai fait ni inventaire, ni catalogue ; j'ai crayonné d'après mes vues.

Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, 1781

Cette énumération fait ressortir l’imprévu, la diversité, le bouillonnement, et cette narration hachée, mouvante, vivante aussi, reflète la bigarrure de Paris, ses changements permanents. L’idée est de dépeindre cette ville à hauteur d’homme, telle que pourrait la voir un flâneur, avec ses événements quotidiens, attendus ou surprenants, la cohabitation de vieux édifices et de bâtiments modernes, la promiscuité des miséreux et des nantis, ainsi que les réflexions que cela pourrait inspirer.

Manière de poudrer une perruque
Manière de poudrer une perruque |

Bibliothèque nationale de France

Atelier de peintre parisien
Atelier de peintre parisien |

Bibliothèque nationale de France

Cet éparpillement n’est qu’apparent. Parfois certains chapitres sont regroupés par thèmes, même si ce n’est jamais la règle. Et les juxtapositions se font en fonction des contrastes qu’elles amènent, mettant ainsi en valeur le contenu de chaque thème. Victor Hugo, Balzac ou Nerval se rappelleront d’ailleurs de cette technique. Et peut–être correspond-elle aussi à la manière de travailler de Mercier, qui écrivait dans Mon Bonnet de nuit : « J’ai contracté l’habitude de mettre par écrit, tous les soirs, avant de me coucher, ce qui me reste de l’impression de la journée. »

J'ai varié mon Tableau autant qu'il m'a été possible ; je l'ai peint sous plusieurs faces.

Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris , 1781

Il traite de tout, va partout, sait tout  Le lecteur découvre des monuments, des métiers, des institutions, des fêtes et des lieux de sociabilité (« Les Tabagies »), des types sociaux et des spectacles de rues, des prisons, la mode, « les portes cochères », celle des « besicles ». Le tout est rédigé dans un style concis, vivant, attentif au détail, qui abandonne les contraintes formelles des différents genres littéraires de l’époque, ou qui les mélange pour en faire quelque chose de totalement nouveau.

Défilé et fête religieuse dans Paris
Défilé et fête religieuse dans Paris |

Bibliothèque nationale de France

L’inconfort des rues de Paris. Homme chutant dans la boue.
L’inconfort des rues de Paris. Homme chutant dans la boue. |

Bibliothèque nationale de France

Mercier y reprend également les propositions de réformes qu’il avait esquissées dans son utopie L’An 2440 : urbanisme rénové pour éviter les épidémies, critique de l’univers carcéral et de celui de la prostitution, diatribes envers le système politique, dénonciation de la violence publique, nostalgie aussi pour un certain Paris qui s’efface. Sans grande illusion sur la transformation en douceur d’une société forgée en partie sur l’apparence : « En vain l’on attaque l’édifice du mensonge. Il est cimenté. On veut le reprendre sous œuvre : c'est une tâche bien plus pénible que si on voulait le reconstruire à neuf ».

Réception de l'œuvre

Bien que commencé assez tôt (un premier article, « Paris », est publié dès 1775), c’est en 1781 qu’est publié en deux volumes Le Tableau de Paris. Il est aussitôt interdit. Mercier passe alors en Suisse (à Neuchâtel), où il rajoute deux volumes l’année suivante, et quatre autres en 1783.

Louis-Sébastien Mercier (1740-1814)
Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) |

Bibliothèque nationale de France

Revenu à Paris, il y écrit les quatre derniers tomes, et l’ensemble parait en 1788 en douze volumes. C’est un succès immédiat, du moins dans le public, car la critique est très mitigée : « esquisse grossière […] peint à la brosse » (Dussault) ou « ouvrage pensé dans la rue et écrit sur la borne » (Rivarol). Mais peu à peu, la valeur du Tableau va apparaître : intérêt littéraire (il y invente pratiquement le grand reportage), témoignage indispensable pour connaître le vieux Paris (tous les historiens de la capitale l’ont utilisé et l’utilisent encore), document qui saisit dans ses plus profondes racines la société d’Ancien Régime à la veille de la Révolution, illustration de l’imaginaire et des espérances des Lumières.

Tout le 18e siècle est contenu dans le Tableau de Paris, surtout le 18e siècle de la rue.

Charles Monselet, Les originaux du siècle dernier: les oubliés et les dédaignés, 1864.

Mercier pressentait cette postérité : « J'ose croire que dans cent ans, on reviendra à mon Tableau, non pour le mérite de la peinture, mais parce que mes observations, quelles qu'elles soient, doivent se lier aux observations du siècle qui va naître, et qui mettra à profit notre folie et notre raison ». D’ailleurs, après les évènements révolutionnaires qui bouleversent la capitale, il reprend ce rôle d’observateur, pour livrer en 1798 un Nouveau Paris.

Henri-David Chaillet, à propos du Tableau de Paris

Henri-David Chaillet, Journal Helvétique, juillet 1781, p. 23-48
Oui, le Tableau de Paris doit plaire à chacun ! On aime la variété, et c’est la variété même....
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Charles Monselet, à propos du Tableau de Paris.

Charles Monselet, Les originaux du siècle dernier : les oubliés et les dédaignés, 1864.
Tout le 18e siècle est contenu dans le Tableau de Paris, surtout le 18e...
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Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015)

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